jeudi 15 décembre 2016

Y'avait une ville... et y'en a plus.

Que se passe-t-il ?
J'n'y comprends rien.
Y'avait une ville,
Et y'a plus rien.
(Claude Nougaro)


Il y avait Alep...
Et il n'y a plus.

Appels à l'aide :
"Au secours ! ! النجدة Help !"
On a tous entendu !

On s'agite, on dénonce, on plaide
On remue les puissances, on secoue l'ONU

Et rien.

Parce que c'est loin
Si loin...
Et puis, c'est trop tard...
Dindes et dindons
Nous sommes devenus
Chapons...
Canards de foire...
La tête rentrée sous l'aile
Que voulez-vous... c'est Noël...

Et pourtant, nous avons su
Nous avons vu...

Il y avait Alep
Qui hurlait Help !

Et il n'y a plus.





Donner la main...
A celui qui la tend

Qu'est-ce qu'on attend ?
Pour être humain ?


Quelle sera la prochaine ville ?
Rayée, virée, martyrisée ?
Idlib ?
Est-ce être droit-de-l'hommiste que de revendiquer 
le droit à une mère de protéger,
à un vieux d'être tranquille,
à un enfant de rêver ?

Est-ce utopiste de résister ?
De dire NON !
De ne pas accepter
sans donner d'autres raisons
que celle de la liberté d'exister
en paix ?

Faut-il choisir un camp ?
Je choisis celui des hommes, des femmes 
et de leurs enfants.

"Plus jamais ça !"
On a dit.
et ÇA existe.

Des enfants, des mères, des pères et des vieux
marchent, marchent, marchent vers d'autres lieux.
Lesquels ?
LESQUELS ?
Où iront-ils ?
Et demain... que feront-ils ?


C'est une pièce, écrite il y a quatre ans...
Pour un spectacle d'enfants comédiens...
Pour dénoncer une autre guerre...

A quoi ça sert ?
M'a-t-on demandé.

A dire.
A accuser.
Qu'est-ce que je peux faire
à part écrire ?

Et je me tords de désespoir
devant les violences sans fin
Je veux crier, ruer sur la page et oser voir.
Ce n'est pas grand chose, mais ce n'est pas, rien.

 "(Notre guerre) entre parenthèses"

Cette saynète a été créée en 2012
 par l’atelier théâtre des enfants de cycle 2 et début de cycle 3
de l’école Saint-Louis à Bourg-en-Bresse


Introduction, lue par Matthieu (9 ans)


La petite pièce que nous allons vous interpréter met en scène huit enfants cachés dans une cave... Au dehors, les combats font rage... Une seule solution : fuir sur le fil de ses pensées, de ses rêves...

Peut-être auriez-vous préféré un sujet plus léger en ces temps de fête et de paillettes... mais la poudre dorée de Noël ne doit pas nous faire oublier que partout dans le monde les enfants subissent les conflits armés que des adultes ont engagés. Ces enfants souffrent. Pleurent. Meurent.

Dans cette école, nous apprenons la compassion, le respect et la solidarité.
Nous vivons dans un pays en paix où nous avons le droit de nous exprimer.
C’est donc en hommage à ces enfants de la guerre que nous jouons pour vous.
« (NOTRE GUERRE) ENTRE PARENTHÈSES »

Centre Scène : La cave : Une lampe à huile posée sur un cageot. Quelques pommes de terre au sol, un quignon de pain dur. Des couvertures sous lesquelles se réchauffent les enfants. En bouquet dans une cruche, dix étoiles.
Coté cour : Un décor de guerre.


Scène 1
Huit enfants cachés sous des couvertures dans une cave. Les enfants s’éveillent et jouent ensembles. Soudain, on entend des bruits de combat. Les enfants sont inquiets.
Côté jardin, le général et le soldat en position de combat.

HANS
Dehors, les bombes s’amusent comme des folles ! Sur les murs de ma maison, il y a des petits pois de plomb.

DORINA
On entend le canon qui éternue ! AtchBoum !

MAXIME, se frottant le ventre.
Ça glougloute dans mon estomac vide !

ABOU, se frottant les yeux.
La guerre entre dans mon sommeil, sans demander la permission...

MARIE
Tous les jours, j’ai la chair de frousse !

NOUR
Toujours cette peur pendue à nos trousses !

ESTHER
Ensemble, on se soutient...

LILIA
Je me demande pourquoi les hommes passent leur temps à se battre...

HANS
Parce qu’ils font la compétition : c’est à celui qui tire le plus fort !

DORINA (avec Lilia.)
Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier de nous deux qui bougera...

MAXIME
Aura une roquette.

ABOU
Pourquoi les enfants meurent ?

 LE SOLDAT 
C’est comme ça ! Moi, je suis un soldat, j’obéis, je tire dans le tas !

LE GÉNÉRAL
C’est ainsi ! Le soldat obéit au général. Le général ne fait pas dans la nuance : il généralise.
                                                                                                       
MARIE
Est-ce que l’on peut changer cela ?

NOUR
Avec des yeux d’enfant, on peut tout...


Scène 2
Le général et le soldat font les cent pas au pas cadencé.

MAXIME
On peut orchestrer le temps ! Regardez-moi ! il se lève et mime un chef d’orchestre, Cheveux au vent et bras en l’air, je commande aux horloges, aux cadrans, aux minuteries des bombes à retardement.

LILIA 
Tu comptes les heures, tu règles les distances...

HANS
Et de demi-temps en temps pleins, l’espace d’un instant...

LE GÉNÉRAL, s’arrêtant brusquement en plein mouvement.
Le défilé des régiments marquent un temps d’arrêt.

LE SOLDAT, qui le suit de près, lui rentre dedans et se fige.
Une minute de silence.

DORINA
Chut... le canon se tait, les chiens de fusil sont désarmés...

MAXIME
Dans l’arbre sans feuille, on entend courir l’écureuil !

ESTHER
Sur la plus haute branche, chante la mésange.

HANS
Dans l’herbe roussie, le grillon sourit...

LILIA
Avec des rêves d’enfants, on peut tout.


Scène 3

ABOU
On peut s’évader, danser dans le ciel, toucher les étoiles !

MARIE, arrachant les décorations du général.
On peut chiper les cinq étoiles au garde-à-vous du général.

 ABOU 
Les lancer dans les airs pour qu’elles oublient de faire la guerre !

Elles jettent les étoiles du général.

HANS, la main en visière.
Cœurs de safran dorés sur tranches, en palpitant des branches...

NOUR, regardant le ciel.
Elles partent dans l’univers !

LE GÉNÉRAL, la main en visière.
Remue-ménage, papillotage. C’est à celle qui clignotera la première !
                                                             
MAXIME, prenant la belle étoile et la faisant virevolter.
Regardez la belle étoile ! Elle a le ciel pour toit et un lit de bruyère ! 

ABOU, prenant l’étoile de mer et la faisant virevolter.
Voltige l’étoile de mer sur des volutes de galaxies !

ESTHER, prenant l’étoile de jasmin et la faisant virevolter.
Le parfum de l’étoile du jasmin !

LE SOLDAT, montrant le ciel du doigt.
L’étoile Polaire sur le dos de la Petite Ourse entre dans la course !

HANS,  prenant l’étoile d’anis et la faisant virevolter.
Frémissants frissons d’épices de l’étoile d’anis !

DORINA, prenant l’étoile jaune et celle de David et les faisant virevolter.
L’étoile jaune et celle de David, vacillantes d’émotion !

LILIA, prenant l’étoile d’opéra et la faisant virevolter.
Pas de biche et saut de chat de l’étoile d’opéra !

MARIE, prenant les  étoiles de neige et d’eau et les faisant virevolter.
Cristaux d’étoiles de neige, curieux manège d’étoile d’eau !

LE GÉNÉRAL, rêveur.
Je regarde la poudre d’or qui file dans le ciel...  

HANS
Il oublie son bataillon qui broie du noir.

ESTHER
 Il rêve... le général... il plane !

MAXIME
 Sous son rayon, sa bonne étoile étouffe le cri du canon !

Silence, les enfants s’endorment.


Scène 4
On entend une sirène et des cris.

ABOU, se redressant soudain.
Au loin, j’entends la mitraille ! La guerre est encore là !

MAXIME
La ville est un champ de bataille !

LE GÉNÉRAL, marchant en cadence.
Allons, soldat, marchons au pas !

LE SOLDAT, trottinant.
Au trot, mon général, trottons vers le front !

LE GÉNÉRAL, courant.
Galop, soldat, galop et grand saut !

On entend le bruit d’une bombe qui explose, le soldat et le général sont projetés au sol, où ils restent inanimés.

HANS
Le général est mort. Le soldat aussi. Leur guerre est finie.

DORINA, se penchant sur les corps étendus.
Ils sourient... peut-être qu’ils ont retrouvé leur âme d’enfant ?

ABOU
Mon âme  a déjà sept ans... elle a tellement vieilli !

MAXIME
Vieillir, c’est le futur de grandir ? Et mourir... ?

MARIE
Nous ne grandirons plus.

NOUR
Nous ne vieillirons pas non plus.

LILIA
Nous n’avons pas de futur.

ALEXIS
Nous conjuguons la guerre à tous les temps.

NOUR, les consolant.
Un jour, peut-être, tout s’arrêtera...

HANS
L’ennemi nous serrera la main, nous le prendrons dans nos bras !

DORINA
Et nous sortirons de nos caves, nous reconstruirons l’école !

MAXIME
Nous deviendrons de vrais enfants ! Nous ferons des bêtises...

ABOU
Nous entrerons, tous les matins, dans notre classe !

MARIE, rêveuse.
J’y suis déjà ! Le maître parle, je regarde par la fenêtre...

ESTHER
Dehors, le printemps s’affaire.

LILIA
Il y a le nid d’un rossignol dans le tilleul.

HANS
Le tilleul qui fleure dans les courants d’air.

NOUR
Les courants d’air qui dispersent les graines.

MAXIME
Les graines qui volent dans le ciel.

ABOU
Le ciel qui entre dans la classe.

MARIE
La classe qui saute par la fenêtre.

ESTHER
La fenêtre qui s’ouvre sur la cour.

LILIA
Où les coquelicots rougissent et dorent les pissenlits.

HANS
Là-haut, la larme collée au carreau, le sanglot long d’un violon sourit...

ABOU
À la ligne, points de suspension...

MAXIME
Nous mettons la guerre et ses sanglants sillons entre parenthèses.


Rideau.