mercredi 30 décembre 2015

BONNE JOURNÉE !

Une année derrière nous, une autre se présente, et ceci indéfiniment… Si vite et si lentement.

© Grímur Hákonarson

Nous sommes des éphémères. Comme le papillon (l’insecte éphéméroptère), issu de l’ultime mue d’une larve frileuse déposée sur le bord d’une flaque. Il s’élance dans le ciel, poussé par un élan indicible et  instinctif, dans l’intense déploiement de ses ailes membranées… Comme lui, nous suivons cet appel qui nous enjoint de vivre, d’être.



Et nos vies, à l’image de la journée de l’éphémère, se déroulent inexorablement, en une période, un espace fugitif – quand on considère les échelles temporelle et spatiale – entre naissance, ascension, fulgurance, enfantement, labeur et chute. Disparition. Nous tournons, tournons, tournons. En accord ou non avec l’espace qui nous entoure. 
Un temps. Quelques mouvements. Et nous ne sommes plus. 
Mais d’autres arrivent qui vivront peu ou prou le même temps, suivis par d’autres, puis d’autres, puis d’autres… Tout est éphémère, tout est éternel. Tout s’achève et recommence. Tout est inéluctable dans son renouvellement.

© Y. Arthus-Bertrand

La nuit, l’éphémère ne la connait pas puisqu’il naît avec l’aube et meurt quand la première étoile est perceptible dans la lumière déclinante.
De même, nous ne connaissons pas ce qui nous suivra. La nuit est pour l’éphémère ce « rien » qui constitue pour nous l’« après ». Et pourtant, tout est toujours, toujours, toujours… après ces milliards de milliards d’éphémères qui ont été et que nous sommes, il y aura. Il y a déjà.
Une année se présente, une autre, une nouvelle (?) où chacun vivra, tournera, aimera, volera. Cette nouvelle année n’est qu’un fragment du compte de notre temps - ce dernier, élaboré en toute connaissance (?), (en toute mauvaise ou bonne foi ?), nous permet peut-être d’organiser (de vivre) nos existences et de supporter leur fugacité, leur vacuité, tout en percevant la fragilité de leurs richesses. Chaque année, nous fermons des tiroirs et nous en ouvrons d'autres. Comme si fragmenter notre temps favorisait nos rangements...
(Petit dialogue tombé à propos :
- Que faites-vous dans l'existence ?
- Je suis attrapeur de richesses...
- Et votre filet est bien rempli ?
- Il est percé. Sitôt que j'en capture une, j'ai à peine le temps d'en profiter qu'elle s'est évanouie...
- Vous pourriez la ranimer, je vous assure !
- Et comment ?
- En lui faisant respirer des sels... les sels de la vie.)

Quelqu’un me disait un jour qu’il n’avait plus besoin de rien, qu’il était plein… je ne l’ai pas entendu sur le moment. À présent, je comprends qu’il percevait des étoiles que moi je ne voyais pas. Sa nuit était là alors que chez moi, il faisait (et fait) encore jour.



J'aime quand la lumière irise les ailes des éphémères et les révèle à nos yeux comme des êtres absolument radieux, mouvants et émouvants. J'aime la lumière qui frémit à l'intérieur de chacun de nous, qui ne demande qu'à sortir ; elle nous habite et rayonne. Un sourire, un mot, un geste, un échange, et nous la transmettons. Comme le papillon, qui vibre dans les rayons, ne nous préoccupons pas de l’ombre du mot « nuit ». Ne soyons pas pleins avant notre heure d'une eau croupie, mais emplis d'une rivière qui s'écoule et se renouvelle...

© Y. Arthus-Bertrand

« Le rêveur est un doux dingue inconscient », m’opposera-t-on. Est-ce rêver que ne pas vouloir s’encombrer ? Ceux-là qui se chargent, vivent-ils mieux ? La nuit, quoi qu’on en pense, quelle que soit la manière dont on lui résiste, arrive un jour (oh le mauvais bon mot !) On ne peut ni la prévenir, ni l’empêcher. Est-ce rêver que refuser de vivre dans l’ombre de ce qui menace. Ou est-ce, au contraire, décider de s’éveiller ? Les rêveurs sont des réveilleurs. En vérité, je vous le dis. (Sourire !)

© J-Y. Billien

Je suis intimement persuadée que ce qui est n’est pas ce qui nous poursuit ou se profile au-dessus de nos têtes, mais ce qui nous habite, ce que nous en faisons. Ce jour, qui commence à notre naissance et dont l’issue est proche, est le nôtre. Il nous appartient. Éphémères nous sommes, mais individus aussi, du latin individuum, indivisible. Un. Entiers. Entièrement… nous en revenons au rien d’un tout ; aux riens de tout, aimé-je dire.

© Y. Arthus-Bertrand


Alors, munie de cette réflexion humble qui n’est que la mienne, ce que j’ai envie de souhaiter aux autres, comme chaque fin de décembre ou début de janvier, ce n’est pas « Bonne année ! », mais « Bonne journée ! »

© Y. Arthus-Bertrand