mercredi 25 février 2015

LES PREMIÈRES FEMMES REPORTERS

Samedi 28 février
à 17h00

Dans cette sublime maison du XVe !
(je fanfaronne !)


Aura lieu le second volet de ma lecture-conférence de janvier sur les reporters durant la Grande Guerre.

Volet exclusivement féminin pour l'occasion, car je vous parlerai des premières femmes reporters... 
Les textes de ces auteurs féminins seront lus par les jeunes comédiennes de mon atelier théâtre... je rentre de répète, ces demoiselles ont bien travaillé, ça va être joli !


La guerre, c'est une affaire d'hommes ! C'est ce que pense la Nation toute entière quand débute la Première Guerre mondiale.
On interdit donc aux femmes d'enquêter sur une certain nombre de sujets et notamment sur tout ce qui concerne le front...
Alors, quel genre de reporter peut-on devenir quand on est une femme en 1914 ?

Septembre 1916...
La garde-champêtre annonce l'approche de l'aviation ennemie
dans un village français à l'arrière du front de la Somme.
© Rue des Archives/Tallandier

La double contrainte, interdiction de front et nationalisme participatif, cantonne la grande majorité des reporters féminins durant la Première Guerre mondiale à deux sous-genres : 
* Le reportage d'infirmières à l'avant qui contourne partiellement l'interdit géographique. Le statut de soignante fonde la journaliste comme témoin "crédible"... "l'ange blanc" est une sorte d'équivalence féminine avec l'enrôlement masculin... 
* Le reportage de l'arrière, celui que j'appelle le reportage "de l'ouvroir", qui héroïse la femme travailleuse et la montre comme participant à l'effort collectif.

Elles ne sont pas toutes à Biarritz ou à Deauville.
Dessin de Paul IRIBE

Mais qu'elles témoignent de l'arrière ou avec le statut de soignante, on s'aperçoit en les lisant qu'elles gardent une vision lucide des réalités et de leur condition féminine. Et on voit que toutes, à un moment ou à un autre, s'autorisent un journalisme féministe, parfois militant, mais sans prosélytisme. Car il a pour objet l'émancipation de la femme, l'extension de ses droits en vue, non pas de rivaliser avec l'homme, mais d'apprécier sa juste valeur, de lui accorder un rôle politique, économique et intellectuel dans la nouvelle France qui se dessine.


Conductrice de tramway - 1916
© Mary Ewans

Tracer les portraits de certaines de ces premières femmes reporters a fait l'objet de plusieurs mois de recherches studieuses, de lectures passionnantes... un retour aux origines, en quelque sorte !


Samedi soir, c'est avec enthousiasme que je vous parlerai de :

Marc Hélys 
(alias Marie Héliard, Marie Léra, Jean d'Anin !)

La mystérieuse féministe


Celle qui mystifia Pierre Loti à Constantinople et fut à l'origine de son célèbre roman "Les désenchantées" s'intéressait à toutes les causes qui touchaient l'éducation des femmes. Par ses romans, ses articles, ses ouvrages documentaires, elle manifesta toute sa vie un grand dévouement pour la cause féministe.
Dès 1914, elle fait la tournée des ouvroirs, des cantines, des hôpitaux de l'Île de France, des usines de travail pour les femmes, des organismes de réinsertion des amputés.
Pendant la guerre, elle visite toutes les provinces françaises, écrit dans Le Correspondant une longue série de reportages très vifs et documentés sur nos grandes et moyennes villes.
Marc Hélys s'intéresse aux conditions matérielles de la survie à l'arrière... elle observe les conséquences de la guerre sur les intimités et la vie familiale... Dans un article du 5 février 1915, "Femmes seules", elle décrit les femmes de la haute société réduites à venir chercher du travail à l'ouvroir : "Des petites louves muettes, qui maigrissent fièrement dans leur tanière froide."

Myriam Harry

La Parisienne orientale


La "petite fille de Jérusalem" devenue parisienne en 1892, lisait Goethe, Shakespeare, Pouchkine, Dante, à douze ans ! Connaissait au même âge, la Bible, le Talmud et le Coran... De sa Palestine natale, elle a gardé la poésie, les couleurs, la chaleur... on les retrouve dans le moindre de ses écrits. J'aime beaucoup Myriam Harry.
Première Lauréate du tout jeune prix Femina (alors "prix Vie Heureuse") en 1905, elle vit à Royan durant la guerre et s'occupe d'un centre de convalescents musulmans. Ses articles publiés dans L'Illustration à ce sujet sont d'une rare sensibilité et possèdent de réelles qualités littéraires... "L'âme de l'Islam s'unit à celle de la France" et Myriam fait l'éloge des hommes de l'Armée d'Afrique qui se battent à nos côtés.
Ce sera pour moi l'occasion aussi de parler des Troupes Coloniales avec 600 000 soldats qui participèrent à la Grande Guerre, côté français... Comment ne pas être admirative et pleine de respect pour ces hommes simples, ou ces fils de caïds, qui ont quitté leur lointaine Afrique pour venir combattre avec nous ? Ils parlent un français approximatif, arrangé à leur façon... on sourit, mais, nous ? Parlions-nous leur langue ? (Myriam Harry, oui.)
Il fallait une sacrée dose de bravoure et de magnanimité pour venir se battre pour nous et notre pays. Et pour ceux qui ne sont pas venus de leur plein gré - car il y en eut - je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée émue également.

Andrée Viollis

Une reporter engagée

© Henri Martinie / Roger-Viollet
"N'est-il pas commun à la plupart d'entre nous, ce besoin de s'évader de soi-même, de crever la coque dans laquelle le hasard nous a enfermé ?"
Elle voulait devenir marin, elle fut grand reporter. Sa vocation, c'était le journalisme, ce métier où "ça manque de femmes !"
Andrée Viollis est l'une des plus grandes plumes engagées de la première partie du siècle dernier, au même niveau qu'Albert Londres ou Joseph Kessel.
Embrasser la profession, c'est, dit-elle, "lui appartenir tout entier comme un amant à son amour, comme un marin à son bateau (...) avec la seule volonté de servir la vérité."
Ce baroudeur à la silhouette gracile et aux yeux d'océan est la première envoyée spéciale du Petit Parisien en France comme en Angleterre. 
C'est en faisant la tournée des bases de l'armée britannique tout le long du front du Nord et de la Somme, qu'elle comprend à quel point le statut de l'Anglaise diffère de celui de la Française. Quand la France utilise la femme dans toutes les besognes dites "masculines" sans lui reconnaître ni statut ni droits ni salaire équivalent à la tâche, l'Angleterre organise officiellement la contribution féminine à la guerre, formant même un corps auxiliaire féminin, la Womens Army Auxiliary Corps.
Peu à peu, ses articles sont de plus en plus ambigus... ils laissent planer de manière plus ou moins ouverte l'hypothèse d'une substitution possible : les femmes prenant la place des hommes partis à la guerre.
Poétesse du combat, Andrée Viollis est une fine sociologue et une spécialiste de l'interview : elle obtient des entretiens avec le ministre de la marine britannique, le directeur du Times, le Premier Ministre, Lloyd George...
J'aime lire dans ce qu'écrit Andrée Viollis, les prémisses d'un nouvel avenir pour les femmes... d'une société qui semble naturelle aujourd'hui, mais pour laquelle certaines, dont ce bel auteur, se sont battues toute leur existence. Révérence.

Colette

"La femme la plus libre du monde"


Contrairement à ces femmes évoquées ci-dessus, tout le monde connaît Colette. Plus qu'à la grande ouvrière des Lettres, je me suis attachée dans cette conférence, à l'infatigable et admirable journaliste qu'elle fut aussi. 
"Il faut voir et non inventer", telle est sa règle. C'est un regard particulier que celui qu'elle porte sur les êtres : libre, curieux, aigu, direct. Elle a une façon très personnelle de percevoir le monde à travers les sens. J'aime aussi sa distance, cette compréhension qu'elle a de la vacuité de la vie humaine...
Durant la Première Guerre mondiale, Colette est déjà un écrivain reconnu et journaliste au Matin. Elle part à deux reprises rejoindre son mari Henry de Jouvenel - dont elle est (alors !) éperdument amoureuse - sur le front de Verdun, pour qu'ils puissent se retrouver en cachette de l'armée.
Elle ne craint pas les combats qui la galvanisent ! Elle confie leur nourrisson à une amie à Paris et se cache dans un hôtel, jouant la courtisane à quarante ans passés, disponible quand son homme est en permission. C'est une pratique strictement interdite par l'armée qui estime que ces femmes qui attendent le mari si près des combats "retirent des forces à la Patrie" (!) (Une pensée fugace à cet instant pour les épouses de nos vaillants footballeurs d'aujourd'hui qui subissent le même "évincement" d'avant combat... heu, de pré-match ! - sourire.)
Mais "Colette est la femme la plus libre du monde", dit d'elle Mac Orlan, elle se moque des interdits.
"Les heures longues" sont le récit de ses "villégiatures" à Verdun... de très beaux textes, témoignages courageux, poétiques, drôles et touchants...

Edith Wharton

Une Américaine sur le front


Edith Wharton, l'un des plus grands écrivains de la littérature d'Outremer du début du XXe siècle, auteur de best-sellers de chaque côté de l'Atlantique, a adopté la terre de France en 1907.
Aristocrate, amie de Roosevelt, Gide, Cocteau, Henri Adams, Anna de Noailles, Paul Bourget... elle n'hésite pourtant pas à "retrousser ses manches" de fine dentelle dès le début de la guerre, œuvrant sur tous les fronts.
Au lendemain sinistre de Charleroi, hâves, déguenillés, épuisés de fatigue et de faim, l'horreur aux yeux et la fièvre aux tempes, les premiers réfugiés arrivent à Paris...
Immédiatement, Edith Wharton s'organise, récolte des fonds en Amérique et crée les "American Hostels", des foyers américains pour les réfugiés belges. A proximité, elle ouvre des restaurants où de décembre 1914 à janvier 1916, 148726 repas seront servis gratuitement... sans oublier le vestiaire franco-belge, les ouvroirs pour permettre aux femmes de gagner leur vie, un orphelinat pour les enfants des Flandres et du Nord...
En 1915, elle reçoit l'autorisation de visiter les zones pillées, victimes de crimes de guerre avant de devenir zones d'arrière-front.
Elle est scandalisée quand elle découvre la destruction de Gerbéviller (Meurthe-et-Moselle) et partout la violence, la barbarie de l'ennemi, la mort, l'horreur.
Profrançaise acharnée, elle témoigne de ce qu'elle découvre. Non seulement en France, mais aussi en Amérique qu'elle exhorte à rejoindre l'Entente.: "C'est l'intérêt même de l'Amérique d'aider à extirper ce flot hideux de sauvagerie par son opinion publique, si ce n'est par son action. Aucune race civilisée ne peut désormais conserver des sentiments de neutralité."
Ses articles vont beaucoup toucher et influencer l'opinion américaine... son action littéraire et humanitaire est saluée en 1916 : elle reçoit la Légion d'honneur. On peut lire dans la revue Le Mois Littéraire : "La croix donnée à Miss Wharton est de celle que l'opinion décerne avant le gouvernement."

oOo

A chaque fois que je prépare une conférence, j'ai du mal à contenir le flot... mes amis s'égayent de ce travers ! C'est difficile de résumer en deux heures, ce qui en mériterait quinze !
Les comédiennes, Agathe, Bénédicte Marie-Amélie, Maya, Rose, la flûtiste, Bénédicte (la même !), qui a choisi de jolis extraits, m'ont offert tout à l'heure de très belles lectures... nous avons "coupé" du texte... à regret... mais il faut que "ça tienne" dans le temps imparti ! Difficile !
Merci d'avance, les "filles", ce sera un bien bel hommage à ces femmes grâce à vos voix aussi... 
Il ne s'agira pas bien sûr d'un propos militant et acharné de ma part... Je trouve qu'aujourd'hui nous "subissons" un féminisme qui n'est plus assez "féminin" (j'ose). Le féminisme actuel nous détourne, à mon sens, des véritables et essentielles revendications... mais c'est un autre débat.
Samedi soir, cette lecture-conférence, outre le fait, je l'espère, d'apporter une connaissance, des précisions sur l'histoire des reporters de la Grande Guerre, des informations sociologiques sur la France de 14-18 à travers ces regards féminins, leurs pensées philosophiques, permettra également de saluer le combat que ces femmes ont mené pour l'acquisition légitime de nos droits.
Cette évolution du statut de la femme, Andrée Viollis l'aborde en ces termes : "L'un des plus grands résultats de la guerre, me disait récemment un célèbre écrivain anglais, c'est qu'elle aura libéré la femme. [...] Elles ont acquis un goût de l'action qu'elles ne pourront plus perdre."

Prends garde au môme... hein !
Dessin publié dans La Baïonnette, n° 124, 15 novembre 1917