mardi 25 février 2014

Au nom du non...

5000 !

- C'est tout ?
- C'est tout.  


5000 mots

Le nombre de mots dans le lexique individuel courant 
de chaque Français va chutant : 

5000 mots en gonflant au maximum les statistiques !

"300 suffiraient", entend-on, et souvent,
 le langage se limite à l'emploi régulier de 3000 mots !


Rétrogradation temporelle.......... rappelez-vous.... 

Rappelez-vous Homère... L'Iliade... L'Odyssée... Nous sommes entre 850 et 750 avant Jésus-Christ.
Ces deux fleuves poétiques, avant d'être transcrits, furent dits, transmis oralement par des aèdes chanteurs qui composaient leurs vers, (comme Homère), ou par des rhapsodes qui récitaient les épopées écrites par d'autres... Plusieurs centaines d'années de langage abondant pour construire l'un des piliers de notre culture. Vingt-sept mille vers qui ont traversé les siècles...

Papyrus de L'Odyssée, fin du IIIe siècle av. J.-C.,
Institut de papyrologie de la Sorbonne.

En Chine, on a recensé pas moins de cent milles proverbes transmis oralement, des centaines de pièces épiques, de légendes... 
Partout, il en fut ainsi, autrefois !
En Afrique, en Inde, encore !

Marionnettes chinoises - Théâtre d'ombres traditionnel

Ainsi, les cultures humaines se sont enrichies grâce à la parole et la mémoire individuelle... Lorsque nous lisons aujourd'hui ces textes issus de la tradition orale, nous sommes saisis par l'ampleur du vocabulaire utilisé.
N'est-ce pas profondément émouvant et exaltant ?
Étions-nous davantage avides de sagesse et épris de savoir, naguère ?

Les hommes étaient des livres........... quel dommage qu'ils l'aient oublié !

"C'était il y a longtemps ! Que nous ressasse-t-elle, celle-là ?" allez-vous rétorquer...

"Admettons.... et alors ?" serais-je tentée de répondre, vous assénant à coups de trique mathématique quelques chiffres plus récents : 

L'oeuvre de Maupassant : 15000 mots !
Celle d'Hugo : 22000 mots !
Celle de Proust : 20000 mots !
Queneau : 18000 mots !
Boudard : 13000 mots !


On ne se bonifie pas en grandissant ! Un collégien de 6ème disposerait de 6000 mots, pour régresser en fin de 3ème à 3725 mots (selon l'interprétation de l'échelle Dubois-Buyse). La suite, faut-il l'énoncer ? Entre 2000 et 3000 mots pour un élève de lycée (vocabulaire actif et passif)... 5000, pour les plus appliqués.

"Parce que tu crois que le péquenaud du XVIIe siècle avait plus de 5000 mots dans son patois, hein ?" raille mon fils aîné.

"A ton avis, mon lapin, il allait au lycée, le pauvre pedzouille ?" réponds-je, malignement.

Qui incriminer ? La télévision et son "reality show" affligeant ? Les micro-écrans, portables et autres joujoux sophistiqués (mais pas raffinés) qui réduisent et musellent l'expression ? Les programmes scolaires qui s'empoussièrent ? Les parents qui n'ont plus le temps, plus l'envie, plus l'idée ? Nos politiques qui causent et causent dans une langue bientôt morte tant elle est vide ? La lente déculturation sociale ? 
... La liste est longue, il m'en faudrait, des mots !
C'est un constat qui n'est pas inédit même s'il reste récent : de moins en moins de gens lisent, le langage s'appauvrit, faute de culture, faute d'intérêt, faute de temps, dans des textos succincts, des courriels anémiques, des statuts cachectiques, des tweets rabougris. C'est d'un creux ! Où sont passés Rabelais et ses Pantagruellades ?
L'idiome est devenu chétif, nous sommes maigrelets du langage ! 
"Ceinture ! dit-on au dictionnaire. C'est la crise !"

Illustrations de Gustave Doré pour Pantagruel de Rabelais

Et pourtant.......

Il est un mot légionnaire qui monte à l'assaut. Un mot mercenaire qui ne va jamais solitaire. L'un de ces vaillants que l'on contraint à placer en ces avant-postes et à traîner à sa suite, une armada de puissant vocabulaire, ayant certes pour vocation première de disculper l'usager ou d'argumenter, mais néanmoins riche et artistiquement tournée, roulée comme une duchesse, carrossée comme une Jaguar !
Ce mot, c'est :

NON !

Dessin de Steinberg, l'homme qui avait le trait aussi riche que les vers d'Homère ! Hahaha !